Elle était assise en tailleur au pied de l'un des rochers longeant la cascade, ses fins cheveux blonds relevés et attachés derrière sa tête par une broche de couleur noire. Sur ses genoux se tenait un vieux livre aux pages jaunies et couvertes de plantes séchées. Une fine écriture noire y avait ajouté quelques commentaires éparses ici et là, indiquant un détail, un nom ou une particularité de la plante. Les fins doigts de Nina se promenaient sur le papier avec douceur, pendant que ses yeux bleus perçants fixaient les indications qu'elle avait elle-même laissé. Sa poupée était assise sur le sol, arrachant des brins d'herbe et s'amusant avec. Le printemps était revenu plus tôt cette année, comme le montrait la robe en dentelle noire et rouge que portait la jeune fille russe.
- J'ai failli attendre, déclara-t-elle soudainement.
Elle ferma le livre qu'elle tenait puis le posa sur le côté, se leva et enfin releva son regard vers le jeune homme qui venait d'entrer dans la clairière. Grand, le visage fermé, bien qu'un fin sourire le recouvrait, il ne paraissait nullement avoir peur d'elle. Pour sûr, ce n'était pas la première fois qu'ils se parlaient. C'était rare de sa part, mais le jeune homme lui fournissait de trop précieux renseignements pour qu'elle le tue.
- Ça n'a aucune importance. Il sait ce que tu as fait.Elle fixa le regard gris du jeune homme pour être sûre qu'il disait la vérité. Malheureusement, c'était le cas. Elle soupira.
- De toute façon, je ne pouvais pas briser cet accord, c'est ce que je déteste dans les promesses.Elle reporta son regard sur un jeune et frêle bouleau à sa droite. Le jeune homme en face d'elle sentit que quelque chose lui échappait. Quelque chose clochait dans son attitude, quelque chose qu'il n'arrivait pas à détecter, et qui lui faisait peur. Pas pour lui, sa vie n'était pas directement en danger, ou si par l'intermédiaire de plusieurs personnes. Pour soudain, il comprit.
- J'ai réfléchi...Nina n'eut pas le temps d'ajouter une parole qu'elle recula, la main sur sa joue rouge. Le jeune homme leva la main pour la frapper une seconde fois quand elle lui saisit le poignet et le serra si fort qu'il devint presque blanc. Son visage auparavant d'apparence tranquille était maintenant furibond et la vie de la personne en face d'elle ne tenait plus qu'à un fil.
- Je t'interdis de me toucher.C'était un ordre sans appel, dur et franc. Le genre d'ordre que si tu contredisait, t'étais mort. Au bout d'un nombre interminable de secondes de silence pendant lesquelles ils se fixèrent mutuellement, il prit enfin la parole.
- Je t'interdis d'avoir ce genre de pensées. Tu sais ce qu'il c'est passé la dernière fois.Également sans appel. Elle le relâcha enfin puis s'écarta de lui, toujours aussi énervée, les poings serrés. Oui, elle s'en rappelait très bien, et le plus dur était d'admettre qu'il avait raison. Elle détourna la tête, parce que le fixer une seconde de plus serait céder à la tentation de l'éventrer puis de lui faire subir une suite inimaginable de tortures. Elle ne pouvait le tuer et ça l'énervait. Ça faisait maintenant quatre personnes qu'elle ne tuerait presque jamais, beaucoup trop à son goût donc. Il sentit la menace qui pesait dans l'air et quitta la clairière en tournant des talons, non sans ajouter une dernière réplique à la jeune femme.
- Surveille la lune car c'est à elle que le loup chante dans le noir.Elle comprit le double-sens et hocha la tête, le regardant disparaitre à travers les arbres, avant de se diriger vers sa poupée, toujours occupée à arracher obstinément les brins d'herbe sur le sol. Elle s'agenouilla devant elle et capta son attention par sa chanson.
- Poupée magique qui écoute mes malheurs, enlève-moi cette douleur. Je n'ai plus envie que de tuer, en ce moment la vie de quelqu'un sera menacée. D'une âme innocente j'aurais un besoin grand, pour assouvir mon désir et faire couler de son corps tout son sang.La poupée qui quelques instants avant s'amusait à arracher des brins d'herbe tout autour de son petit corps planta ses deux grands yeux dans ceux de la jeune fille et récita une fine comptine en pointant son minuscule doigt à sa gauche.
"- Promenons-nous dans les bois, pendant que le loup n'y est pas... ♫"Nina regarda la direction montrée par sa poupée puis se leva souplement, un fin sourire barrant ses lèvres. Elle se dirigea vers la fin de la clairière et s'enfonça dans le sous-bois, éclairé par le soleil de midi.