Kyle est quelqu'un de profond et de vide à la fois.
Ce genre de personne que l'on ne peut pas décrire ; on sait pas, on ne peut pas réellement savoir qui est ce gosse.
Chacun possède une version différente de sa mentalité, de ses réactions, peut-être même des traits de son visage. Cet agent est tel les saisons, il change constamment, au fil du temps, des âges, des personnages, du contexte, de la mission...
En réalité, ce petit se contredit lui-même dans tout ce qui fait. Chaque fois que l'on pense le cerner, il nous surprend, il nous mène à la confusion, à l’égarement.
Seul lui sait qui il est, et seul lui sait qui vous êtes dès l'instant où il pose le regard sur vous.
Ce gamin n'est pas jeune, du moins, pas dans la tête. La vie l'a fait grandir trop vite, bien trop vite. Il est forgé, il sait comment réagissent les gens, il sait de quoi ils sont capables. Il sait prévoir le meilleur comme le pire. Et il sait que vous vous stopperez à son âge, ne l'estimant seulement au rang "d'un simple gosse".
Mais Kyle jubile. Il a apprit à rire de ses blessures, à rire de ce fardeau qu'est la vie. Il sait voir le monde en face sans détourner les yeux, mais sait aussi lui rire en pleine face.
Sarcastique ? Non, ce n'est pas quelqu'un de moqueur. Il ne gloussera jamais ouvertement; il gardera ses sentiments pour lui, silencieusement. Il gardera tout pour lui, il ne montrera rien à la face du monde. On pourrait même croire son âme un soupçon plus grand que le monde, vu tous les sentiments qu'elle parvient à renfermer en son sein.
Ce type est toujours voilé sous un masque, ne vous fiez jamais à ce qu'il fait paraître ; sa froideur n'est qu'émotion, son indifférence n'est qu’intérêt, et ses sourires ne sont que larmes.
En réalité, comment savoir si cet enfant est franc ou pas ? C'est le genre de personne qui te trouble totalement dès que tu le croises, qui trouble autant tes pensées que ta vision du monde. Il te mène à te perdre là où il s'est lui-même perdu.
Oui, un enfant au regard perdu comme le décrivent certains, un enfant au regard perçant comme le décrivent d'autres.
Un enfant fort, comme le décrivent tous.
Un enfant qui sait dire quand tu as tort, et qui sait reconnaître que tu as raison. Un enfant impertinent, suivant sa propre loi, sa propre pensée, sa propre opinion. Un enfant qui préfère esquiver le coup du crétin plutôt que de le suivre dans sa course. Un enfant ayant bien compris que les mots avaient parfois plus de violence que n'importes quels coups. Un enfant qui sait contredire, un enfant qui sait agir, un enfant qui sait raisonner, ignorer, craindre et l'assumer.
Un enfant qui sait aller vers l'avenir, même s'il le sait obscur jusqu'à la fin.
Un enfant qui en réalité, n'en est peut-être pas un.
 
 

Un gosse.

Cela suffit surement à le décrire, et ce pour n'importe qui. Surtout pour ce genre de gens, qui le fixent d'un regard dédaigneux, apercevant ses 1m68 et gagnant un petit rictus.
"Qu'est-ce qu'il fout dans cette agence" ? "Quel inoffensif petit garçon !"

A ces répliques, Kyle répond d'un sourire. Un sourire doux et fragile, juste pour les solliciter dans leur bêtise. Un sourire scintillant sur sa peau blanche comme neige, en même temps que ses yeux verdâtres, lui ayant valu son pseudonyme en tant qu'Agent. Ces yeux verts, là, qui lancent des lames aux cœurs et des douceurs aux pensées selon les jours.
Des mèches noires coupent le chemin à son regard, tel l'ébène qui réchauffe le corps et qui le salit à la fois.
Il aime ses cheveux, qu'ils soient en bataille ou non. Il aime son visage rond, bien puéril soit-il, malgré tous les dires que celui-ci attire.
Des doigts fins, un corps peu corpulent ; un vrai gringalet, peu costaud, mais aux bons réflexes. Pour sa part, il n'a pas de musculature à vanter ; partout, il est dans la norme.

Une chemise, un caban, un gilet... Peu importe, tant que c'est sobre. Moins il se fait remarquer, mieux c'est. Il a toujours privilégié les vêtements ne le mettant pas en valeur ; mieux vaut rester à sa place, surtout dans ce genre de communauté.
Mais rien que ses pupilles laissent penser qu'il est tout sauf du genre à se laisser marcher sur les pattes.

D'ailleurs, à leur vision, la populace détourna le regard; "C'est peut-être juste son physique qui lui donne cet air aussi candide ?"...

Non, il reste un enfant malgré tout. Il ne s'estimera jamais comme autre chose qu'un simple enfant.
Reste à savoir si vous, vous le considérez comme tel.
 

Le rose du ciel commençait à se mêler au bleu de la nuit tombante. Les branches  pointaient tous dans la même direction, guidés par le vent semblant se diriger, comme hypnotisé, vers cet enfant.
Une peau blanche, des yeux verdâtres, des cheveux ébouriffés dansants au rythme de la brise.
Il semblait attendre quelqu'un.

5 minutes, 36 secondes...

Cela faisait très exactement 5 minutes, 37 secondes et 33 millièmes qu'il attendait devant la porte.
Il fixait les collines à l'horizon, et comptait le temps qui passe, comme si son âme ne pouvait se donner à quelconque autre occupation.

40 secondes...

Brooky était en retard. Ils lui avaient pourtant promi qu'elle viendrait à 8 h 30.
Mais Kyle demeurait toujours là, les yeux vides. Même si la nuit tombait, il ne ferait nulle autre chose qu'attendre. Il y était prêt.
Pourtant, il savait très bien qu'il ne la verra pas.

47 secondes...

Il avait prévu tout cela. Il préssentait pertinemment que c'était une mauvaise idée.
- Brooky, il faut que tu y ailles. ont-ils pourtant dit.
Triples idiots... Étaient-ils réellement si naïfs pour ne pas sentir l'entourloupe ? Après tout, la vie d'une pauvre gamine ne les intéressait pas. Qu'ont-ils à demander, tant qu'ils demeurent tranquilles ?
Kyle avait horreur des gens ainsi, c'est comme s'ils le noyaient, le privaient de son oxygène dés qu'ils se trouvaient aux alentours.

6 minutes.
Sur ces pensées, il fit volte-face et se rendit à l'intérieur de sa demeure.

Personne n'y était resté, seul se faisait entendre le tic tac répétitif de l'horloge, accrochée au fond du salon.
Les volets n'étaient ouverts, aucune lampe n'éclairait. Tout était sombre, calme, presque angoissant. Tout ce que l'enfant possédait comme repère, étaient les maigres rayons de soleils parvenant à se faufiler sous quelques fenêtres.

Sur une table de bois, entourée de deux chaises disposées de façon hasardeuse, se trouvait un vieux téléphone noir, au combiné grisâtre.  Un appareil aux couleurs maussades, qui font fuir de sourire.
Kyle se planta devant, et ne bougea point. Il continuait de le fixer, puis se remit à compter, à voix haute.
- 1...2...3...4...5...6...7...8...9... 

Un son strident se fit entendre à la fin du compte à rebours. Le téléphone s'était mit à sonner, brisant d'un seul coup le silence qui s'était paisiblement installé autour du bambin.
Après une profonde respiration, sa main décrocha le combinet, avant de le poser contre son oreille droite.

La conversation demeura silencieuse encore quelques secondes, avant qu'un rire sadique ne se fasse entendre de l'appareil.
- On ne peut pas te surprendre, Kyle...
- Vous avez dépassé le délais, vous avez 6 minutes et 25 secondes de retard. Dois-je en déduire que notre marché ne tient plus ? Demanda l'enfant d'une voix froide et posée à la fois.
- Disons que nous avons rencontré quelques problèmes en chemin. Rétorqua la voix sarcastique et caverneuse au bout du fil.
- Quand est-ce que je dois partir ? 

Sa voix candide parvenait à ne pas paraître tremblante, pourtant l'effroi qui l'envahissait était dés plus considérables. Celle-ci demeurait glacée et calme, comme un lac où l'on s'emprisonne en quelques secondes. Pourtant le fond de son âme était baigné d'obscurité, de ténèbres effrayantes, où il n'arrivait pas à placer son regard.
Il était paniqué, car il savait à quel adversaire il avait affaire.
Cela faisait deux jours que ses parents étaient partis, avaient claqué la porte, affolés, ne lui adressant qu'un regard en guise d'adieu.

Il savait que cet homme allait appeler, et il savait quel lieu il allait lui indiquer. Cette perspicacité effarante avait le don de taire peu à peu les rires que cet inconnu lâchait de sa gorge large.
Il plantait ses griffes dans le son téléphone, laissant un grincement insupportable aux oreilles de Kyle en guise de réponse.
Il souhaitait encore et toujours l’impressionner, mais le gosse demeurait imperturbable.
- Part donc pour demain, une voiture viendra te chercher...
- Je peux y aller seul. Coupa-t-il d'un ton ferme. Après tout, vous m'avez déjà envoyé l'invitation, non ? 
Ses yeux furent guidés jusqu'à la boite aux lettres, que l'on pouvait encore voir depuis la porte entre-ouverte.
Sa portière était fermée avec négligence, tellement que l'on arrivait toujours à l'entendre s'ouvrir doucement sous la force du vent. Dans l'encoche prévue à cet effet dépassait cette fameuse enveloppe  blanchâtre que Kyle n'avait pas daignée saisir avant d'entendre une nouvelle fois les grognements de cet homme.
- Rejoins l'Agence Cookie et trouve un moyen de nous débarrasser de cette Mère-Grand. Après cela, tu les reverra. Ton père, ta mère, et ta sœur.
- Vous débarrasser de Mère-Grand ne faisait pas parti du marché. 
- Le marché a changé. C'est moi qui dicte les règles.
L'enfant grinça des dents.

Rien ne lui permettait de s'assurer que les paroles de ce monstre soient véridiques, mais il n'avait  nul autre choix que de se plier à ses règles. Brook était en danger, et son seul espoir de la retrouver se trouvait à Chantilly.
...Mais pourquoi lui ?...

Sans un mot de plus, Kyle reposa le combiné.

Le silence refit surface, laissant de nouveau le tic tac de l'horloge devenir la seule compagnie de l'enfant.
Il s'appuya sur la table, la tête baissée, le regard vague. Le bout de ses doigts tremblaient légèrement, on aurait dit que les larmes étaient sur le point de perler aux recoins de ses yeux.
Mais il gardait son sang-froid, demeurant pensif. Il repensait à ce premier coup de téléphone ayant mené sa petite sœur à sa perte.
Tout cela était à cause  de ses parents, cela ne faisait aucun doute. Ils n'ont pensé qu'à eux et l'ont regretté par la suite. Triples idiots, triples idiots, triples idiots...

La nuit sombre  s'installa de nouveau, ne laissant même pas briller les étoiles. Toutes se cachaient derrière d'épais nuages, comme si elles aussi, étaient terrifiées.
Le vent s'était endormi, les seules choses qui se permettaient de crier étaient peut-être sûrement les pas s’enchaînant un a un de cet enfant aux yeux saphirs.

Il avançait calmement, le regard fixant l'horizon, un sac pendouillant sur l'épaule droite, et une lettre à la main.

Il est temps d'affronter, maintenant, Kyle...